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{8.2.05}

 
liberté, propriété... souveraineté ?

De l’étroite relation entre la liberté et le droit de propriété, plusieurs libéraux et libertariens déduisent hâtivement une proximité juridique entre ce dernier et un principe pourtant peu libéral : la souveraineté. Or celle-ci ne ressortit pas au juste exercice d’un droit de propriété, mais bel et bien à la puissance politique. N’est-ce pas ainsi que l’un de ses plus célèbres théoriciens, Jean Bodin, la définissait au XVIe siècle?

La souveraineté est la puissance absolue & perpétuelle d'une République, que les Latins appellent majestatem, les Grecs [. . .], les Italiens Segnoria, duquel mot ils vient aussi envers les particuliers, & envers ceux-là qui manient toutes les affaires d'estat d'une République : les Hébreux l'appellent [. . .], c'est à dire, la plus grande puissance de commander.

Voilà donc ce qui fonde la doctrine moderne de l’Etat. La différence entre les principes propriétaristes et la thèse souverainiste devrait logiquement sauter aux yeux : tandis que les premiers concernent les rapports des individus aux choses, la seconde concède à certains individus le droit d’en commander et gouverner d’autres. Certes, une juste compréhension des droits de propriété conduit également à définir les rapports entre individus ; mais cette approche repose entièrement sur des fondements juridiques, excluant toute idée de domination et d’arbitraire politiques. En effet, dans la vraie perspective juridique, les individus sont jugés à la même aune : leur commune obligation de respecter les droits des autres hommes. Autrement dit, ils sont égaux devant la loi. En revanche, la souveraineté implique un déséquilibre en faveur des gouvernants (démocratiques ou non) de sorte qu’ils restent libres d’exercer leur pouvoir hors de toute mesure. Paradoxalement, alors qu’ils sont considérés aujourd’hui comme les seuls producteurs légitimes de normes, les gouvernants vivent non sous le règne du Droit, mais bien hors-la-loi - les contre-pouvoirs censés limiter leurs actions ayant, en outre, été progressivement absorbés ou contaminés par la logique du Pouvoir (et des partis).

Généralement, l’accord est établi sans difficulté excessive entre libertariens sur les points que je viens d’aborder très brièvement. Mais la belle unanimité se rompt dès que nous venons à nous intéresser à définir les droits légitimes du propriétaire privé. Guidés sans doute par un raisonnement quelque peu manichéen, plusieurs anarcho-capitalistes estiment que, du moment que l’Etat n’est plus là, le propriétaire agira forcément bien ou, en tout cas, sera légitimé à faire n’importe quoi puisqu’il est chez lui. Un tel argument est absurde. J’ajouterais même que ceux qui le tiennent commettent un contresens dommageable aux idées libérales. En effet, si s’appuyer sur une philosophie propriétariste pour critiquer le pouvoir étatique constitue une entreprise ô combien salutaire, cela ne signifie cependant pas qu’elle soit destinée à décréter : « Tout ce qui est privé est formidable ! » Tant s’en faut ! Ainsi, un particulier qui décide de louer son bien immobilier ne pourra pas, sous prétexte qu’il est chez lui, vider le frigo de ses locataires ni leur « emprunter » la voiture qu’ils ont parquée dans le garage lui appartenant (et dont ils paient l’emplacement sans regimber). De même, un propriétaire ne peut pas exiger de ses invités masculins qu’ils lui prêtent leur épouse ou compagne afin d’assouvir ses fantasmes libidineux !

Croyant évacuer l’État, certains libertariens le réintroduisent pourtant en privatisant la souveraineté. Or, ne nous lassons pas de le répéter, une cascade de privatisations ne suffit pas à définir une société libérale. Que signifierait, par exemple, la privatisation des douanes, de la guerre, de l’impôt ou des camps de concentration (pour citer des occurrences tristement célèbres - bien que d’inégale gravité, naturellement - de la souveraineté étatique) ? C’est simple : elle consisterait ipso facto à privatiser des activités criminelles ! En quoi les libéraux, partisans de l’état de Droit s’il en fut, devraient-ils s’en solidariser ? Évidemment en rien. Plus généralement, la privatisation des entreprises ne suffit pas à rendre toutes leurs pratiques a priori justes. Elle n’est qu’une condition nécessaire à la prise de responsabilité des producteurs, et certainement pas une garantie absolue qu’ils se comporteront tous lucidement et honnêtement. La propriété privée n’augure en rien la manière dont la jouissance d’un bien sera exercée ; elle lie uniquement liberté et responsabilité. Et c’est déjà énorme !

La confusion propriété-souveraineté s’illustre aussi dans le problème de l’avortement. Il est devenu commun, dans une optique rothbardienne, de considérer que cette action ressortit exclusivement à la volonté de la mère - laquelle, en vertu de son droit de propriété sur elle-même, pourrait dès lors ôter la vie au fœtus qu’elle porte ! En d’autres termes, elle disposerait, selon les « pro-choice », d’un droit de vie et de mort sur le fruit de ses entrailles. Mais au nom de quelle légitimité une femme tuerait-elle un être innocent - lui réservant, en outre, un sort au moins égal à celui d’un cambrioleur menaçant ! - et pourquoi un libertarien (par principe, défenseur acharné du principe de non-agression - pierre angulaire de l’anarcho-capitalisme) devrait-il cautionner une telle agression létale ? Cela reviendrait à renverser purement et simplement la logique libertarienne. Car, pas plus qu’un individu n’est propriétaire de la vie des personnes présentes chez lui, une femme n’exerce de droit de propriété sur l’embryon ou le fœtus qu’elle porte. Pour résumer, nul n’a le droit de se déclarer propriétaire d’un autre être humain ; l’idée de propriété n’est valable qu’en rapport avec des objets.

Il n’est, du reste, pas étonnant que - dans le camp libéral ou réputé tel - ce soient principalement les Objectivistes qui soutiennent sans réserve cet homicide commis avec la bénédiction de nombreux gouvernements (au point qu’il est permis de parler d’ « État avorteur »), comme la plupart d’entre eux approuvent avec la plus inextinguible ferveur propre aux pires fanatiques les massacres de non-Occidentaux, massacres qu’ils estiment d’ailleurs trop tempérés ! Néanmoins, je pense sincèrement que, nonobstant le cas très particulier des randroïdes, la plupart des libertariens défendant le droit à avorter se trompent de bonne foi et sans aucune espèce de malignité de leur part.

Précisons, d’autre part, que la position anti-avortement ne traduit aucune inclination religieuse particulière ; elle renvoie tant à un examen scientifique du problème qu’à une stricte application de notions juridiques éprouvées. En bref, elle n’est pas affaire de morale ou d’opinion, mais seulement de jugement objectif : nul ne peut assassiner un être humain.

Loin donc de se caractériser comme une pensée prométhéo-randienne, le libertarianisme est en réalité une philosophie de la mesure et de la sagesse ; opposée à l’hybris souverainiste trouvant parfois à s’incarner dans le dérèglement totalitaire de la loi.

Omer Vidolis
posted by melodius 8.2.05


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