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16.4.04
double standard et planification
Sur la question des relations internationales, un étrange consensus a été trouvé au sein de la communauté libérale française: toute critique contre une démocratie - au choix, Etats-Unis, Israël, Grande-Bretagne - ne peut que porter préjudice à la cause de la liberté et céder du terrain aux totalitaires. Une personnalité a joué un rôle éminent à cet égard. Il s’agit de Jean-François Revel. Ce grand essayiste a mené un combat méritoire entre les années 60 et 90 pour défendre la liberté individuelle contre l’arbitraire politique. Malheureusement, il a fini par devenir l’avocat quasi inconditionnel de la politique étrangère américaine, sous prétexte que l’URSS et d’autres faisaient pire. On peut grosso modo dater le tournant à la parution de Comment les démocraties finissent (1983), où il se fait le chantre d’un interventionnisme que ne renieraient pas les néo-conservateurs américains. Le problème de l’argumentation du philosophe français vient de ce qu’il raisonne en empiriste utilitariste. Par crainte de sombrer dans ce qu’il suppose être un dogmatisme irréaliste, il refuse de fonder sa pensée politique sur des principes intangibles - tel celui de la non-initiation de la violence - pour leur préférer le pragmatisme (pourtant, toujours sujet à des révisions déchirantes).
Plus généralement, trop de libéraux français récupèrent naïvement ce qui se passe outre-Atlantique et l’étiquettent « libéral », sous prétexte que tel courant d’idées est honni par les lefties. Ainsi du mouvement néo-conservateur, sur lequel j’ai déjà publié ici-même un article. La confusion est telle que certains sites n’hésitent pas à se proclamer ouvertement inscrit dans cette mouvance, comme si l’adéquation avec les idées libérales leur paraissait naturelle. Selon certains, la planification d’une occupation d’un pays étranger, quand elle est décidée et exercée par le gouvernement américain, ne peut absolument pas être comparée à un programme despotique. Au contraire, il devrait être salué comme une « divine surprise » ! D’un coup de baguette magique, les effets négatifs inhérents à une occupation militaire disparaissent : les morts civils ? Des dégâts collatéraux. Les coupures d’eau et d’électricité ? Un complot islamo-baasiste, qui signale par là sa volonté de dominer la Terre entière. La censure dont la presse est victime, et les arrestations arbitraires? Des mesures nécessaires au maintien de l’ordre. La guerre ? C’est la paix.
Dans cette logique orwellienne, une fable aux vertus lénifiantes que l’on nous ressert chaque fois que le gouvernement américain lance une nouvelle offensive est que les démocraties seraient, par essence, pacifiques. De même, quand la Maison-Blanche soutient des dictatures au nom du moindre mal (période dite de « l’endiguement anticommuniste », ou aujourd’hui « anti-terroriste » - voir la Chine, l’Ouzbekistan, le Pakistan, etc.), ce serait une preuve de la supériorité des valeurs démocratiques et surtout, une méthode efficace pour garantir le Droit et la liberté.
Comme les communistes qui, naguère, ne toléraient pas la moindre critique envers leurs régimes chéris, les supporters des neocons n’admettent pas que l’on critique la politique conduite par leurs idéologues favoris (et les gouvernements qu’ils soutiennent). Notamment, les opposants devraient s’abstenir de parler de « politique impérialiste », parce que ce terme serait trop connoté Pravda. Pourtant, les discours à la Grosse Bertha d’un Robert Kagan sur la nécessité et la légitimité d’une superpuissance américaine gouvernant le monde, ne devraient laisser planer aucun doute sur les intentions de tels personnages.
Pire, les libertariens sont accusés par les neocons et leurs groupies d’antisémitisme et d’anti-américanisme. C’est ainsi que l’animateur d’Antiwar.com - Justin Raimondo - fait l’objet de telles accusations mensongères (quand ce n’est pas sa vie privée qui est attaquée !). Comme le rappelle le président du Minaret of Freedom, Imad al-Dean Ahmad, ce procédé stalinien était d’ailleurs employé il y a peu par le War Street Journal pour mieux fustiger ceux qui avaient osé nommer les néo-conservateurs comme inspirateurs du plan de refondation du Moyen-Orient. Mais, depuis l’offensive en Irak, qu’ils prédisaient couronnée de succès, ces mêmes individus ont salué nommément les néo-conservateurs, avouant enfin qu’ils possédaient plus qu’un ascendant sur les décideurs américains. La vanité peut conduire à l’imprudence: il sera désormais difficile aux zélateurs des apôtres de la démocratie casquée, de se réclamer de l’objectivité journalistique pour justifier l’injustifiable.
La tragédie irakienne est le résultat d’une planification de bureaucrates, cherchant à imposer leur volonté de puissance. Peut-on dire qu’ils ont échoué dans leurs plans ? Oui, si l’on accorde de la créance à leurs propos (ponctués à qui mieux mieux des mots « liberté, paix, prospérité »). Mais, en politique, ce sont les actes qui comptent. Alors, il est permis de se demander si le ratage de cette guerre n’est pas en même temps une nouvelle aubaine pour l’administration américaine qui va ainsi pouvoir justifier de nouvelles lois, un accroissement des dépenses militaires, et - qui sait ? - peut-être une guerre de plus au palmarès de l’interventionnisme armé. Somme toute, nous reconnaissons là cette règle immuable des planificateurs étatistes: « Pour réparer les dégâts causés par notre intervention précédente, intervenons à nouveau ! » Ou, comme l’avait affirmé avec aplomb ce neocon avant l’heure - le socialiste Guy Mollet: « On nous dit que notre politique a échoué. Est-ce une raison pour y renoncer ? »
Omer Vidolis
posted by melodius 16.4.04
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