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{24.8.04}

 
compte rendu de « An Enemy of the State », 2ème partie

Dans un post antérieur, mon ami melodius avait commencé à vous présenter la biographie de Rothbard due à Justin Raimondo. En accord avec mon hôte, je me charge de vous informer de la suite des aventures du vieux Murray.

Les années 60 se présentent difficilement pour un amoureux de la liberté aussi fervent que Rothbard (dont le premier grand livre sort à cette époque : Man, Economy & State, qui poursuit l’oeuvre entreprise par Mises dans Human Action). D’une part, à l’extension continuelle du Welfare State s’ajoute le conflit du Vietnam. D’autre part, les conservateurs qui rejettent le bellicisme propagé par la droite dite « moderniste » que conduit le directeur de la National Review, William Buckley (précurseur des célèbres néo-conservateurs), sont excommuniés pour anti-étatisme et/ou « extrémisme ». Dans ce contexte, les libéraux radicaux vont avoir l’occasion de pouvoir démontrer par l’exemple la justesse de leurs vues sur la nocivité de l’État dans tous les domaines.

Afin de poursuivre l’œuvre de la Old Right, Rothbard fonde ses espoirs sur une nouvelle forme d’anti-étatisme qui commence à se faire connaître : la « Nouvelle Gauche ». Celle-ci a émergé dans les campus en réaction à l’influence grandissante du gouvernement dans l’organisation des universités. En cela, ces étudiants se situent à l’opposé des Démocrates New Dealers pour lesquels il n’y a jamais trop d’État et qui, par le biais de l’idéologie de la Great Society, perpétuent l’héritage socialiste de Roosevelt. De même, les militants de cette nouvelle gauche dénoncent avec virulence les manoeuvres néfastes du lobby militaro-industriel - alors à son apogée, Guerre froide oblige - qui est le type même de faux marché dépendant exclusivement des commandes gouvernementales. De quoi rendre ces jeunes gens échevelés sympathiques à notre économiste anarchiste. Associé à son ami Leonard P. Liggio, il crée en 1965 la revue Left & Right, à travers laquelle il va tenter d’unifier les représentants les plus libertaires de la New Left avec la droite libertarienne. Dans le fond, le combat anti-impérialiste n’est qu’un autre nom pour la défense de l’isolationnisme, chère à la tradition paléo-conservatrice des Mencken, Taft et autres Garett. Il faut par ailleurs noter que l’ancien nègre de Barry Goldwater (candidat républicain aux élections présidentielles de 1964), Karl Hess, rejoindra brièvement le mouvement, publiant en 1969 sa profession de foi - Death of Politics - dans un numéro de Playboy.

Durant cette période de rapprochement, l’auteur de Power & Market s’intéresse également au mouvement noir. Mais, là encore, il refuse la tiédeur et les idées reçues. Pour lui, la solution à l’oppression policière contre les Noirs ne passe pas par une politique d’intégration forcée (financée par l’extorsion fiscale et se traduisant par l’implantation de terrains de sport, de bourrage de crâne soi-disant éducatif, etc.). Cette option n’est, en effet, que l’autre face de l’agression étatique et ne contribue, de surcroît, qu’à envenimer les relations inter-ethniques. C’est pourquoi aux discours lénifiants de Martin Luther King, il préfère ceux d’un Malcolm X, au sujet duquel il écrira bien plus tard un article récapitulant sa position.

Cependant, Rothbard se lassera très vite de l’attitude anti-propriétariste et moralement laxiste manifestée par la gauche libertaire, et il rompra donc avec elle. Un article au titre révélateur, datant de 1970, témoigne de sa vive déception : « Les Anarcho-communistes ». Dans un essai théorique important, Freedom, Inequality, Primitivism and the Division of Labor, il mettra les points sur les i en démontant scientifiquement l’aberration égalitariste. Ce qui sépare Rothbard des idéologues gauchistes est qu’il ne nie nullement la légitimité d’élites naturelles, qui ne doivent toutefois pas être confondues avec les aristocraties artificielles produites par l’État (et qui le nourrissent).

Son divorce d’avec la New Left étant consommé au début des années 70, cela ne l’empêche évidemment pas de continuer, au sein du Libertarian Forum, à fustiger l’impérialisme US au Vietnam ni de critiquer avec fougue la politique inflationniste de « Tricky Dick ». Ensuite, l’année 1972 voit la fondation du Libertarian Party, à laquelle notre auteur a activement contribué. En son sein, il devra de nouveau affronter la frange des hippies férus de contre-culture, qui voient d’un très mauvais œil la promotion de candidats comme Roger MacBride, producteur de La Petite Maison dans la Prairie, trop bourgeois à leur goût (mais parfaitement en adéquation avec les préférences culturelles plus traditionnelles du vieux Murray).

Un autre grand événement de cette période faste (notamment quant au nombre d’articles et de livres publiés, pensons à son manifeste For A New Liberty ou à sa monumentale histoire de l’Amérique pré-révolutionnaire) est la naissance du Cato Institute (dont le nom s’inspire des Cato’s Letters publiées peu avant la Révolution américaine), le milliardaire Charles Koch se chargeant d’en assurer le financement. Rothbard y trouvera un appui, rédigeant notamment une note stratégique confidentielle : Toward A Theory of Libertarian Social Change. Les conservateurs de la National Review en ayant eu l’écho, lanceront une campagne calomnieuse à travers laquelle ils peindront Rothbard dans la peau d’un nouveau Lénine voulant détruire la liberté américaine. Venant d’aussi fervents étatistes, la critique ne manque pas de sel ! Surtout, c’est ignorer que le concept de lutte des classes auquel l’économiste se réfère provient d’auteurs libéraux : Charles Comte et Dunoyer, qui distinguaient les producteurs de richesses, pourvoyeurs involontaires d’impôts, et les consommateurs d’impôts (les hommes de l’État et leurs clients).

Cependant, le célèbre institut libéral tendra, à l’initiative de son président Ed Crane, à affadir son discours : ainsi, l’analyse autrichienne cédera de plus en plus la place à des perspectives mieux considérées par l’Establishment (tel le point de vue des disciples de Milton Friedman). Signe de cette quête de respectabilité, le think tank quittera la Californie pour s’installer à Washington DC. À cela s’ajouteront les manoeuvres politiciennes de Crane pour faire valoir des candidats falots.

À cette époque paraît l’un des chefs-d’œuvre de Rothbard, Ethics of Liberty, où il expose les fondements philosophiques de l’anarcho-capitalisme.

Prenant ses distances avec le parti libertarien et avec le Cato, Rothbard va bénéficier de l’amitié de Llewellyn H. Rockwell Jr., pour travailler - au sein du Mises Institute (nommé ainsi avec la caution de la veuve du grand économiste autrichien) - dans un cadre enfin favorable. Simultanément à ses travaux théoriques et à son enseignement de plus en plus prisé, notre auteur continuera son œuvre de pamphlétaire intraitable, éreintant sans ménagement les fausses audaces économiques de Reagan comme sa politique étrangère. Au cours de la décennie suivante, la première Guerre du Golfe comme les actions militaires en Somalie, ou en ex-Yougoslavie ne vont pas tarir sa verve anti-interventionniste. De même, il fustige les fausses initiatives « libre-échangistes » (OMC, ALENA) qui ne sont qu’autant de prétextes à renforcer la bureaucratie de Washington et à privilégier des hommes d’affaires en cheville avec le Pouvoir central. En cela, il rejoint le trop décrié Pat Buchanan, qu’une campagne de diffamation avait accusé d’antisémitisme, tout simplement parce qu’il ne pensait pas que l’intérêt des Américains était de dire amen aux thèses du Likoud.

La boucle était bouclée, venu de la droite non-interventionniste, puis ayant fait un crochet par la nouvelle gauche anti-autoritaire, Rothbard réaffirma à la fin de sa vie son attachement à la Old Right. D’après lui, il était temps de ranimer un populisme de droite, susceptible de rallier à la cause libérale la classe moyenne, principale victime de l’étatisme des politiciens de Washington.

Le vieux savant meurt le 7 janvier 1995. Sa monumentale History of Economic Thought paraîtra deux ans plus tard.

Omer Vidolis
posted by melodius 24.8.04


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