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2.9.04
l'anneau des libertés
Je quitte aujourd'hui "l'anneau des libertés".
Si j'ai beaucoup d'amitié pour son initiateur, Fabrice Ribet, ainsi que pour ses premiers membres, l'apparition de blogs se définissant explicitement comme "anti-libertariens" sur ce webring me parait inacceptable.
Je conçois que dans le contexte politique pourri où se meuvent les Français, une grande alliance des forces libérales, voire de droite, puisse paraître attrayante, même si je pense que c'est une erreur. Quel est en effet l'intérêt d'une grande politique des alliances lorsqu'on est lu régulièrement par, à tout casser, 500 personnes dispersées dans le monde entier ? Nous ne sommes pas en train de constituer un gouvernement, nous sommes en train "d'agiter des idées". Le compromis, à ce stade, ne peut que nous nuire. Et en plus, ce n'est pas drôle.
De plus, je suis Belge, et plutôt orienté vers le libertarianisme US que vers ceux qui revendiquent, trop souvent à tort, cette étiquette en France. Je n'ai donc aucune raison de participer à un grand-messe unanimiste où nous devons ménager les représentants d'une droite conservatrice, rétrograde, dépourvue d'idées et glissant peu à peu dans l'hystérie xénophobe. Non seulement nous risquons d'être associés à eux, mais le rapport de force hors du monde virtuel étant ce qu'il est, nous les renforçons en ne leur apportant pas la contradiction.
J'espère que ceux qui ne partagent pas mon point de vue ne prendront pas cette décision de mauvaise part. Souffrez que nous puissions rester amis sans nous accorder sur tout.
posted by melodius 2.9.04
24.8.04
compte rendu de « An Enemy of the State », 2ème partie
Dans un post antérieur, mon ami melodius avait commencé à vous présenter la biographie de Rothbard due à Justin Raimondo. En accord avec mon hôte, je me charge de vous informer de la suite des aventures du vieux Murray.
Les années 60 se présentent difficilement pour un amoureux de la liberté aussi fervent que Rothbard (dont le premier grand livre sort à cette époque : Man, Economy & State, qui poursuit l’oeuvre entreprise par Mises dans Human Action). D’une part, à l’extension continuelle du Welfare State s’ajoute le conflit du Vietnam. D’autre part, les conservateurs qui rejettent le bellicisme propagé par la droite dite « moderniste » que conduit le directeur de la National Review, William Buckley (précurseur des célèbres néo-conservateurs), sont excommuniés pour anti-étatisme et/ou « extrémisme ». Dans ce contexte, les libéraux radicaux vont avoir l’occasion de pouvoir démontrer par l’exemple la justesse de leurs vues sur la nocivité de l’État dans tous les domaines.
Afin de poursuivre l’œuvre de la Old Right, Rothbard fonde ses espoirs sur une nouvelle forme d’anti-étatisme qui commence à se faire connaître : la « Nouvelle Gauche ». Celle-ci a émergé dans les campus en réaction à l’influence grandissante du gouvernement dans l’organisation des universités. En cela, ces étudiants se situent à l’opposé des Démocrates New Dealers pour lesquels il n’y a jamais trop d’État et qui, par le biais de l’idéologie de la Great Society, perpétuent l’héritage socialiste de Roosevelt. De même, les militants de cette nouvelle gauche dénoncent avec virulence les manoeuvres néfastes du lobby militaro-industriel - alors à son apogée, Guerre froide oblige - qui est le type même de faux marché dépendant exclusivement des commandes gouvernementales. De quoi rendre ces jeunes gens échevelés sympathiques à notre économiste anarchiste. Associé à son ami Leonard P. Liggio, il crée en 1965 la revue Left & Right, à travers laquelle il va tenter d’unifier les représentants les plus libertaires de la New Left avec la droite libertarienne. Dans le fond, le combat anti-impérialiste n’est qu’un autre nom pour la défense de l’isolationnisme, chère à la tradition paléo-conservatrice des Mencken, Taft et autres Garett. Il faut par ailleurs noter que l’ancien nègre de Barry Goldwater (candidat républicain aux élections présidentielles de 1964), Karl Hess, rejoindra brièvement le mouvement, publiant en 1969 sa profession de foi - Death of Politics - dans un numéro de Playboy.
Durant cette période de rapprochement, l’auteur de Power & Market s’intéresse également au mouvement noir. Mais, là encore, il refuse la tiédeur et les idées reçues. Pour lui, la solution à l’oppression policière contre les Noirs ne passe pas par une politique d’intégration forcée (financée par l’extorsion fiscale et se traduisant par l’implantation de terrains de sport, de bourrage de crâne soi-disant éducatif, etc.). Cette option n’est, en effet, que l’autre face de l’agression étatique et ne contribue, de surcroît, qu’à envenimer les relations inter-ethniques. C’est pourquoi aux discours lénifiants de Martin Luther King, il préfère ceux d’un Malcolm X, au sujet duquel il écrira bien plus tard un article récapitulant sa position.
Cependant, Rothbard se lassera très vite de l’attitude anti-propriétariste et moralement laxiste manifestée par la gauche libertaire, et il rompra donc avec elle. Un article au titre révélateur, datant de 1970, témoigne de sa vive déception : « Les Anarcho-communistes ». Dans un essai théorique important, Freedom, Inequality, Primitivism and the Division of Labor, il mettra les points sur les i en démontant scientifiquement l’aberration égalitariste. Ce qui sépare Rothbard des idéologues gauchistes est qu’il ne nie nullement la légitimité d’élites naturelles, qui ne doivent toutefois pas être confondues avec les aristocraties artificielles produites par l’État (et qui le nourrissent).
Son divorce d’avec la New Left étant consommé au début des années 70, cela ne l’empêche évidemment pas de continuer, au sein du Libertarian Forum, à fustiger l’impérialisme US au Vietnam ni de critiquer avec fougue la politique inflationniste de « Tricky Dick ». Ensuite, l’année 1972 voit la fondation du Libertarian Party, à laquelle notre auteur a activement contribué. En son sein, il devra de nouveau affronter la frange des hippies férus de contre-culture, qui voient d’un très mauvais œil la promotion de candidats comme Roger MacBride, producteur de La Petite Maison dans la Prairie, trop bourgeois à leur goût (mais parfaitement en adéquation avec les préférences culturelles plus traditionnelles du vieux Murray).
Un autre grand événement de cette période faste (notamment quant au nombre d’articles et de livres publiés, pensons à son manifeste For A New Liberty ou à sa monumentale histoire de l’Amérique pré-révolutionnaire) est la naissance du Cato Institute (dont le nom s’inspire des Cato’s Letters publiées peu avant la Révolution américaine), le milliardaire Charles Koch se chargeant d’en assurer le financement. Rothbard y trouvera un appui, rédigeant notamment une note stratégique confidentielle : Toward A Theory of Libertarian Social Change. Les conservateurs de la National Review en ayant eu l’écho, lanceront une campagne calomnieuse à travers laquelle ils peindront Rothbard dans la peau d’un nouveau Lénine voulant détruire la liberté américaine. Venant d’aussi fervents étatistes, la critique ne manque pas de sel ! Surtout, c’est ignorer que le concept de lutte des classes auquel l’économiste se réfère provient d’auteurs libéraux : Charles Comte et Dunoyer, qui distinguaient les producteurs de richesses, pourvoyeurs involontaires d’impôts, et les consommateurs d’impôts (les hommes de l’État et leurs clients).
Cependant, le célèbre institut libéral tendra, à l’initiative de son président Ed Crane, à affadir son discours : ainsi, l’analyse autrichienne cédera de plus en plus la place à des perspectives mieux considérées par l’Establishment (tel le point de vue des disciples de Milton Friedman). Signe de cette quête de respectabilité, le think tank quittera la Californie pour s’installer à Washington DC. À cela s’ajouteront les manoeuvres politiciennes de Crane pour faire valoir des candidats falots.
À cette époque paraît l’un des chefs-d’œuvre de Rothbard, Ethics of Liberty, où il expose les fondements philosophiques de l’anarcho-capitalisme.
Prenant ses distances avec le parti libertarien et avec le Cato, Rothbard va bénéficier de l’amitié de Llewellyn H. Rockwell Jr., pour travailler - au sein du Mises Institute (nommé ainsi avec la caution de la veuve du grand économiste autrichien) - dans un cadre enfin favorable. Simultanément à ses travaux théoriques et à son enseignement de plus en plus prisé, notre auteur continuera son œuvre de pamphlétaire intraitable, éreintant sans ménagement les fausses audaces économiques de Reagan comme sa politique étrangère. Au cours de la décennie suivante, la première Guerre du Golfe comme les actions militaires en Somalie, ou en ex-Yougoslavie ne vont pas tarir sa verve anti-interventionniste. De même, il fustige les fausses initiatives « libre-échangistes » (OMC, ALENA) qui ne sont qu’autant de prétextes à renforcer la bureaucratie de Washington et à privilégier des hommes d’affaires en cheville avec le Pouvoir central. En cela, il rejoint le trop décrié Pat Buchanan, qu’une campagne de diffamation avait accusé d’antisémitisme, tout simplement parce qu’il ne pensait pas que l’intérêt des Américains était de dire amen aux thèses du Likoud.
La boucle était bouclée, venu de la droite non-interventionniste, puis ayant fait un crochet par la nouvelle gauche anti-autoritaire, Rothbard réaffirma à la fin de sa vie son attachement à la Old Right. D’après lui, il était temps de ranimer un populisme de droite, susceptible de rallier à la cause libérale la classe moyenne, principale victime de l’étatisme des politiciens de Washington.
Le vieux savant meurt le 7 janvier 1995. Sa monumentale History of Economic Thought paraîtra deux ans plus tard.
Omer Vidolis
posted by melodius 24.8.04
24.6.04
ombre et lumière
Darty est une très grande entreprise, fondée par deux frères qui ont eu assez de flair pour détecter cette opportunité gigantesque il y a plusieurs décennies déjà: vendre à bas prix de l'électroménager. La force de ce réseaux de Grandes Surfaces, c'est le service après-vente. C'est probablement ce qu'il y a de plus important dans ce type d'activités, tant il est agaçant de posséder un mixer qui ne fonctionne pas, ou une machine à laver qui ne lave pas.
Eh bien pour les guerres, c'est la même chose. Le plus important, c'est le service après-vente.
Les USA, ou Georges Bush, ou je ne sais trop qui ou quoi ont réussit une performance que même Darty n'est pas arrivé à obtenir: construire un réseau de service après-vente composé de bénévoles (donc gratuit) qui prêchent la bonne parole aux masses endoctrinées par les excès du pacifisme, disent-ils, de la lacheté, de la kollaboration pour les plus en forme. On entend parler de "munichois", de "complices objectifs de Saddam Hussein".
Un exemple ici: un blog qui s'appele A l'endroit et à l'envers, ou quelquechose comme cela, tenu par le webmaster de la Page Libérale, une sorte de néo-conservateur étatiste, avec quelques grammes de libéralisme sur les sujets tarte à la crème comme la CGT, le Parti Socialiste, etc.... Admettons cependant que ce soit un ami de la liberté.
A propos de cette guerre d'Irak, que ces néo-conservateurs appelent la "Bataille d'Irak", malgré l'accumulation de preuves selon lesquelles le régime de Saddam Hussein n'a que peu de rapport avec la tragédie du 11/09/2001, malgré le fait que la découverte des armes de destruction massive commence cruellement à se faire attendre, malgré les exactions commises par du personnel militaire de l'armée américaine, l'auteur de ce blog persiste à soutenir l'administration Bush contre vents et marées, en admettant tout de même du bout des lèvres qu'il raconte quasiment n'importe quoi.
Cette attitude est pour le moins curieuse. La question est: pourquoi? J'avoue ne pas connaître la réponse, j'ai une première hypothèse de travail: il aime bien jouer à Risk
Ponctualité et efficacité, ce sont les valeurs du service après-vente de Darty.
Soutien indéfectible jusqu'au ridicule, amour immodéré de la violence d'Etat par la guerre, justifications de massacres de civils par l'armée US, justification de la torture (nous sommes, je le rappele, au 21ème siècle) ce sont les valeurs des soutiens indéfectibles de Georges W. Bush en France, ce sont ça les valeurs de ces war-junkies, ce sont ça les valeurs du blog sus-mentionné.
Personnellement, je préfère Darty à Georges W. Bush.
Chitah
posted by melodius 24.6.04
16.6.04
comme on fait son lit, on se couche
L’ami Aristophane a déjà écrit bien des choses intéressantes au sujet du résultat des élections régionales de ce dimanche et m’a d’ailleurs forcé à récrire le texte que j’étais en train de commettre moi-même.
Il y cependant encore quelques enseignements à en tirer.
D’abord, la victoire éclatante du PS le rend plus indéracinable que jamais en Wallonie. Il devient même le premier parti en Luxembourg, bastion historique des démocrates chrétiens. Ce bon résultat semble avoir été acquis sur le dos d'Ecolo et, dans une moindre mesure, du MR « libéral ». Une fois de plus, le clientélisme socialiste et l’agitation constante de la peur du lendemain s’est révélée payante. Pour les Bruxellois et les Flamands, il y a de quoi être désespéré.
Remarquons également la remontée, en réalité la stabilisation à un niveau plus conforme à son potentiel, du CdH ex-démocrate chrétien, définitivement axé à gauche sous la houlette de la détestable Joëlle Milquet.
Un élément intéressant est la percée (toute relative) du FN dans plusieurs bastions socialistes. Or, l’expérience flamande démontre que l’extrême droite commence sa croissance en braconnant sur les terres socialistes. Dieu seul sait ce qui pourrait arriver si le FN parvenait à devenir un parti digne de ce nom plutôt qu’une bande de déclassés et de Napoléons d’opérette se disputant le devant de la scène.
A Bruxelles, pour la première fois, le PS devient le plus grand parti de la capitale et détrône le MR. Probablement cet échec « libéral » est-il attribuable en grande partie à l’effet Picqué, dont l’image modérée et pragmatique et la personnalité sympathique ont séduit nombre d’électeurs libéraux dégoûtés par les frasques du MR (dérive à gauche, cohabitation forcée avec l’ennemi historique FDF, valse des portefeuilles, mépris du parti pour les spécificités bruxelloises, etc.) Le PS a aussi su se gagner des voix naguère écologistes. La percée du Vlaams Blok n’aura pas lieu, celle-ci ne pouvant se réaliser que grâce à l’apport de voix francophones que ses points de vue violemment anti-francophones et anti-bruxellois lui aliènent. Il faut d’ailleurs remarquer que la région du pays où l’immigration est la plus présente est la seule à n’avoir pas fait progresser les nazillons de tout poil et a au contraire élu bon nombre de candidats basanés avec des scores parfois impressionnants.
En Flandre, l’arrogance du VLD, parti libéral flamand, sa politique du tout à l’image et sa gestion imbécile du droit de vote communal des étrangers non-européens lui coûtent très cher. Rappelons que le VLD savait, avant d’entrer dans le gouvernement fédéral, que ses trois partenaires comptaient faire passer cette « mesure » et qu’une majorité alternative était disponible pour le faire. Plutôt que de faire contre mauvaise fortune bon cœur et de défendre le projet auprès de sa base, après tout pas beaucoup moins enthousiaste que celle du MR, ou alors de quitter le gouvernement, il a tenté une demie opposition au gouvernement qu’il dominait en s’entre-déchirant par la même occasion. Ce genre d’erreurs se paie très cher : le VLD est tout juste parvenu à accréditer auprès de l’électorat l’idée que ce droit de vote (dont le poids réel sera tout à fait négligeable) est inacceptable et qu'il était composé de fieffés opportunistes puisqu'il le laissait passer. En ce faisant, il a poussé bon nombre de ses électurs tout droit dans les bras du Blok.
Le bénéficiaire provisoire des bévues libérales est le démocrate chrétien CD&V. J’écris « provisoire » parce qu’à part une fuite en avant communautaire promise à son partenaire nationaliste NVA et à l'électorat, le CD&V ne pourra pas faire grand chose, étant obligé, soit de constituer une tripartite avec les socialistes du SP.a et le VLD, ce qui ne sera pas facile après une campagne ultra-négative, soit de s’allier avec le Vlaams Blok, ce qu’il refuse de faire.
Le vrai gagnant est évidemment le Vlaams Blok, qui représente désormais pas moins d'un million d’électeurs, soit un Flamand sur quatre. Les cadres de ce parti sont pour la plupart issus tout droit des milieux de la collaboration et des groupuscules d’extrême droite qui ont fleuri en Belgique durant les années septante. Le Blok est beaucoup plus idéologique et radical que la plupart des autres partis d’extrême droite européens, même s’il a su s’attirer des personnalités issues de milieux conservateurs.
Les motifs de ses électeurs sont cependant beaucoup plus terre-à-terre que les délires de type ordre nouveau ou nouvelle droite: les interviews et les conversations de café sont relativement claires à ce sujet. C’est la haine des « étrangers » et des politiciens « qui ne tiennent pas leurs promesses » qui motive l’électorat blokker, visiblement plus populaire que celui des autres partis. La solution est donc toute trouvée: attribuer aux autochtones les fruits du pillage fiscal qui jusqu’à présent allaient aux « étrangers » et aux Wallons. Le vote Blok est donc un vote tout aussi socialiste que le vote PS, mais il ne s'agit plus de prendre l’argent aux patrons pour le donner au prolétariat, mais de donner l'argent pris aux patrons au prolétariat autochtone plutôt qu'aux « étrangers » et aux Wallons.
On remarquera que l’énorme succès du Blok dans une des régions les plus riches du monde, par ailleurs à peu près en situation de plein emploi, montre toutes les limites de l’éternelle ritournelle selon laquelle il suffit de « créer des emplois » pour éliminer l'extrême droite.
Comme Aristophane, je pense qu’il n’y a que la solution "autrichienne" qui peut contrer le Blok : le CD&V doit accepter de gouverner avec lui. Si le CD&V s’y refuse, le Blok sera la seule opposition réelle au futur gouvernement flamand faiblard et divisé, et on lui offre sur un plateau d'argent une majorité absolue aux prochaines élections. Idéalement, cette participation doit se prolonger au niveau fédéral, afin de ne pas provoquer de conflit ouvert entre les différents niveaux de pouvoir qui menacerait l’existence même de la Belgique. C’est le seul moyen, tout d’abord de permettre aux électeurs de voir quelle est la différence entre les discours et leur mise en pratique (le programme du Blok est un ramassis de sornettes), ensuite de renforcer par une cure d’opposition socialistes et libéraux.
Si les partis francophones tiennent encore un tant soit peu à l'état fédéral, comme ils ne cessent de l'affirmer, le moment est venu de montrer un peu de solidarité avec les Flamands et d'avaler la pillule.
Je conçois par ailleurs que le CD&V ne piaffe pas d’impatience à l’idée de devoir remplir ce double sacrifice, mais ne peut-on exiger de la part de bons chrétiens un peu d'altruisme de temps à autre ? Tiens, si ça peut les motiver, s’ils s’y décident, je voterai pour eux la prochaine fois. Ca tombe bien, un de mes potes est sur leurs listes !
posted by melodius 16.6.04
27.5.04
plus ça change...
Une nouvelle aventure virtuelle commence : chacun pour soi, un blog collectif regroupant la plupart des anarcho-capitalistes du forum liberaux.org. Le soussigné participe évidemment au projet.
J'avoue ne pas encore trop savoir quel sera l'influence de cette heureuse naissance sur ce blog-ci, mais a priori, rien ne changera. Chacun pour soi se veut plus nerveux et proche de l'actualité que je ne l'ai été jusqu'à présent, tout dépendra donc de l'affectation du temps dont je dispose pour faire le guignol sur le net.
Mais trève de bavardages, gentil lecteur, nunc est bibendum ! Un petit voyage vers chacun pour soi s'impose...
posted by melodius 27.5.04
5.5.04
der Untergang des Abendlandes
Zek a publié ces derniers jours quelques articles qui ont eu l’heur d’énerver certains lecteurs et de provoquer un dialogue (d’intérêt très variable…) avec d’autres.
L’événement est de taille (enfin, dans le microcosme libéral francophone et virtuel …) puisque c’est la première fois que notre star de la blogosphère explicite quelque peu la vision du monde qui informe ses billets au vitriol.
Cette perspective se fonde paraît-il sur la théorie des « memes » dont le créateur est le biologiste britannique néo-darwinien Richard Dawkins. En bref, le meme serait l’équivalent intellectuel d’un gène. Il serait soumis, mutatis mutandis, à des pressions de type évolutionnaire et donc à la sélection naturelle. Par conséquent, le succès d’une idée politique ou religieuse peut être évalué par l’observation du groupe humain qui la professe. J’avoue ne toujours pas saisir si les adeptes de cette théorie la considèrent comme une métaphore particulièrement fertile ou s’ils lui attribuent une existence réelle.
D’après Zek, la tâche de l’intellectuel libéral consisterait à concevoir et à disséminer des memes liberaux aptes à survivre au « struggle for life » du monde des idées, étant entendu qu’un meme libéral trop pur (comme le meme libertarien par exemple) s’il est d’une rare beauté, ne saurait survivre longtemps par lui-même, faute d'être mâtiné d’autres memes indispensables à sa survie, du genre vertus militaires ou taux de fécondité élevé.
La première question que l’on peut se poser, dans le monde dépourvu de valeurs autres que vitales que semble habiter Zek, c’est pourquoi diable il nous faudrait défendre des idées libérales, puisqu’en Occident, le meme politique qui a gagne la course est la social-démocratie. De la même manière, et toujours dans une perspective zékienne, à quoi bon s'évertuer à promouvoir un meme faiblard comme le libéralisme, déjà défait par le meme social-démocrate, pour faire face au (soi-disant) super-meme islamiste qui menacerait la civilisation occidentale ? C’est d’ailleurs ce que semblent suggérer plusieurs des derniers articles de Zek, dans lesquels il observe notamment que la mutation islamiste du meme réac (qui perdure grâce à une extraordinaire faculté à parasiter jusqu’aux memes qui lui paraissent les plus inamicaux...) fait preuve d’une vitalité qui ferait tristement défaut au meme social-démocrate pédé, métissé, permissif, jouisseur, partouzeur, bref, on connaît la musique.
On n’en est pas encore au « If you can’t beat them, join them » que lui reprochent déjà certains (ex-) fans, mais on s’en rapproche à grands pas. En attendant, l’homme de goût, haut perché dans sa tour d’ivoire, observe avec mépris et parfois avec tristesse la décadence de la civilisation occidentale, incapable de faire face à des forces certes barbares, mais dotées de la virile vitalité qui fait défaut aux fins de race que nous sommes. Plus qu’une réflexion politique, puisque le combat contre les memes barbares est perdu d’avance, la pensée zékienne est donc une catégorie esthétique, une Pavane pour une Europe Défunte.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la pensée zékienne se réduit donc, en ultime analyse, à un pessimisme culturel irrationnel et tout spenglérien, qui semble consubstantiel à l’irruption du darwinisme dans la pensée politique, comme en témoigne à peu près toute la littérature politique du romantisme à la fin de la deuxième guerre mondiale. Le seul (et maigre) espoir se trouverait de l’autre côté de l’Atlantique, où survit une mutation du meme libéral, une culture de pionniers couillus qui n’ont pas peur de se salir les mains lorsqu'il le faut.
On peut adresser de nombreuses critiques à une telle vision du monde. Tout d’abord, rien ne démontre qu’elle correspond à une quelconque réalité. Le meme existe-t-il ? En admettant que ce soit le cas, le meme social-démocrate mâtiné de jacklanguerie est-il réellement menacé par le meme islamiste, ou est-il au contraire en voie de détruire définitivement les cultures non-occidentales ? Partant, le meme islamiste (ou assimilé, pour les pays de tradition autre que musulmane) est-il réellement un superorganisme promis à un avenir brillant ou au contraire un anti-corps tristement inefficace et menacé de disparition à court terme, maintenant qu’il a commencé à s'attaquer à ses sociétés hôtes ? Plus fondamentalement, comme le relève très pertinemment Hobbes2004, un des interlocuteurs de Zek, ne détruit-on pas le meme libéral en l’associant à des memes létaux pour lui, comme le démontrent les problèmes insolubles auxquels doit faire face le grand oxymoron qu’est une société libérale en guerre ? Qu'est-ce que la culture occidentale sans les valeurs centrales du libéralisme, que même la social-démocratie n'a pu détruire ? Quand le pessimisme devient-il défaitisme et trahison ?
Je refuse pour ma part de me réfugier dans mon castel et de hisser le pont-levis. Je crois, selon les termes un peu grandiloquents d’un grand anti-nihiliste incompris, que la vocation de l’être humain est de devenir un enfant, un nouveau commencement et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, un "oui" sacré. Je crois que seule la liberté et l’échange permettent à l’homme de se réaliser et aux civilisations de briller. Je crois que la civilisation occidentale, malgré quelques épiphénomènes, auxquels il faut certes être attentif, mais sans y attacher plus d’importance qu’ils n’en ont, est plus forte et attrayante que jamais, pourvu qu’on ne laisse pas étouffer ce par quoi elle se définit prioritairement (souvent à tort, mais qu’importe) : la liberté.
L’heure n’est pas aux lamentations, elle est à l’action, et donc à l'optimisme et à la joie qu'inspire la perspective du travail qui s'annonce. Ceux qui ne sautent pas sont socialistes !
posted by melodius 5.5.04
16.4.04
double standard et planification
Sur la question des relations internationales, un étrange consensus a été trouvé au sein de la communauté libérale française: toute critique contre une démocratie - au choix, Etats-Unis, Israël, Grande-Bretagne - ne peut que porter préjudice à la cause de la liberté et céder du terrain aux totalitaires. Une personnalité a joué un rôle éminent à cet égard. Il s’agit de Jean-François Revel. Ce grand essayiste a mené un combat méritoire entre les années 60 et 90 pour défendre la liberté individuelle contre l’arbitraire politique. Malheureusement, il a fini par devenir l’avocat quasi inconditionnel de la politique étrangère américaine, sous prétexte que l’URSS et d’autres faisaient pire. On peut grosso modo dater le tournant à la parution de Comment les démocraties finissent (1983), où il se fait le chantre d’un interventionnisme que ne renieraient pas les néo-conservateurs américains. Le problème de l’argumentation du philosophe français vient de ce qu’il raisonne en empiriste utilitariste. Par crainte de sombrer dans ce qu’il suppose être un dogmatisme irréaliste, il refuse de fonder sa pensée politique sur des principes intangibles - tel celui de la non-initiation de la violence - pour leur préférer le pragmatisme (pourtant, toujours sujet à des révisions déchirantes).
Plus généralement, trop de libéraux français récupèrent naïvement ce qui se passe outre-Atlantique et l’étiquettent « libéral », sous prétexte que tel courant d’idées est honni par les lefties. Ainsi du mouvement néo-conservateur, sur lequel j’ai déjà publié ici-même un article. La confusion est telle que certains sites n’hésitent pas à se proclamer ouvertement inscrit dans cette mouvance, comme si l’adéquation avec les idées libérales leur paraissait naturelle. Selon certains, la planification d’une occupation d’un pays étranger, quand elle est décidée et exercée par le gouvernement américain, ne peut absolument pas être comparée à un programme despotique. Au contraire, il devrait être salué comme une « divine surprise » ! D’un coup de baguette magique, les effets négatifs inhérents à une occupation militaire disparaissent : les morts civils ? Des dégâts collatéraux. Les coupures d’eau et d’électricité ? Un complot islamo-baasiste, qui signale par là sa volonté de dominer la Terre entière. La censure dont la presse est victime, et les arrestations arbitraires? Des mesures nécessaires au maintien de l’ordre. La guerre ? C’est la paix.
Dans cette logique orwellienne, une fable aux vertus lénifiantes que l’on nous ressert chaque fois que le gouvernement américain lance une nouvelle offensive est que les démocraties seraient, par essence, pacifiques. De même, quand la Maison-Blanche soutient des dictatures au nom du moindre mal (période dite de « l’endiguement anticommuniste », ou aujourd’hui « anti-terroriste » - voir la Chine, l’Ouzbekistan, le Pakistan, etc.), ce serait une preuve de la supériorité des valeurs démocratiques et surtout, une méthode efficace pour garantir le Droit et la liberté.
Comme les communistes qui, naguère, ne toléraient pas la moindre critique envers leurs régimes chéris, les supporters des neocons n’admettent pas que l’on critique la politique conduite par leurs idéologues favoris (et les gouvernements qu’ils soutiennent). Notamment, les opposants devraient s’abstenir de parler de « politique impérialiste », parce que ce terme serait trop connoté Pravda. Pourtant, les discours à la Grosse Bertha d’un Robert Kagan sur la nécessité et la légitimité d’une superpuissance américaine gouvernant le monde, ne devraient laisser planer aucun doute sur les intentions de tels personnages.
Pire, les libertariens sont accusés par les neocons et leurs groupies d’antisémitisme et d’anti-américanisme. C’est ainsi que l’animateur d’Antiwar.com - Justin Raimondo - fait l’objet de telles accusations mensongères (quand ce n’est pas sa vie privée qui est attaquée !). Comme le rappelle le président du Minaret of Freedom, Imad al-Dean Ahmad, ce procédé stalinien était d’ailleurs employé il y a peu par le War Street Journal pour mieux fustiger ceux qui avaient osé nommer les néo-conservateurs comme inspirateurs du plan de refondation du Moyen-Orient. Mais, depuis l’offensive en Irak, qu’ils prédisaient couronnée de succès, ces mêmes individus ont salué nommément les néo-conservateurs, avouant enfin qu’ils possédaient plus qu’un ascendant sur les décideurs américains. La vanité peut conduire à l’imprudence: il sera désormais difficile aux zélateurs des apôtres de la démocratie casquée, de se réclamer de l’objectivité journalistique pour justifier l’injustifiable.
La tragédie irakienne est le résultat d’une planification de bureaucrates, cherchant à imposer leur volonté de puissance. Peut-on dire qu’ils ont échoué dans leurs plans ? Oui, si l’on accorde de la créance à leurs propos (ponctués à qui mieux mieux des mots « liberté, paix, prospérité »). Mais, en politique, ce sont les actes qui comptent. Alors, il est permis de se demander si le ratage de cette guerre n’est pas en même temps une nouvelle aubaine pour l’administration américaine qui va ainsi pouvoir justifier de nouvelles lois, un accroissement des dépenses militaires, et - qui sait ? - peut-être une guerre de plus au palmarès de l’interventionnisme armé. Somme toute, nous reconnaissons là cette règle immuable des planificateurs étatistes: « Pour réparer les dégâts causés par notre intervention précédente, intervenons à nouveau ! » Ou, comme l’avait affirmé avec aplomb ce neocon avant l’heure - le socialiste Guy Mollet: « On nous dit que notre politique a échoué. Est-ce une raison pour y renoncer ? »
Omer Vidolis
posted by melodius 16.4.04
19.3.04
unité de l’ordre et de la liberté
par Omer Vidolis
Il est courant d'entendre des gens pourtant éclairés dissocier, et le plus souvent opposer, ordre et liberté. D'un point de vue classiquement de droite, le premier garantirait la sécurité des personnes, tout en étant antérieure à la seconde. Pour la gauche, l'ordre - « bourgeois », évidemment - est une construction sociale arbitraire qu'il faut, sinon détruire, du moins réformer autoritairement de fond en comble, sans égard pour la liberté individuelle, assimilée à la cause première de l'injustice - « sociale », comme il se doit. Si l'on veut quelque peu sacrifier à un formalisme, que je n’espère pas trop nozickien, D (droite) reporte L (liberté) à plus tard, au nom de la préservation de O (ordre) : L = 0 ; O = 1. Dans le cas de G (gauche), L et O sont nuls tous les deux. Au vu du résultat, certains préféreront la première option: l'ordre, à défaut de la liberté (par exemple, la loi interdira la cigarette dans les lieux dits publics, ou elle obligera les possesseurs de chats sauvages à montrer patte blanche).
En vérité, il s'agit d'une illusion d'optique. Pour s'en apercevoir, il suffit de se souvenir des régimes totalitaires se réclamant ouvertement du socialisme pour savoir que, là aussi, on prétendait maintenir l'ordre (« aryen » ou « prolétarien ») en différant constamment la réalisation de la liberté. Cela prouve que la distinction gauche-droite ne possède pas de grande valeur heuristique : la droite n'a pas d'autre ambition que de gérer un statu quo, le plus souvent hérité de la gauche, en préservant le désordre liberticide que cette dernière a institué. Tandis que la gauche veut tout détruire pour construire une nouvelle organisation sociale qu'elle tentera de conserver jalousement. L'erreur épistémologique des conservateurs de gauche et de droite réside dans le clivage ordre-liberté qu'ils ont établi, à travers lequel tant de gens craignent la liberté pendant que d'autres redoutent la notion de Droit... ce qui est exactement la même chose.
Dans ses Soirées de la Rue Saint-Lazare, le grand économiste belge Gustave de Molinari a admirablement dépeint les postures idéologiques des conservateurs et des socialistes, semblablement hostiles à la connaissance d'un Droit supérieur à leurs manigances politiciennes. À l'étatiste de droite, celui de gauche déclare : « Propriété, famille, religion, cires molles que tant de législateurs ont marquées de leurs empreintes successives, pourquoi ne vous marquerions-nous pas aussi des nôtres ? Pourquoi nous abstiendrions-nous de toucher à des choses que d'autres ont si souvent touchées ? Pourquoi respecterions-nous des reliques que leurs gardiens eux-mêmes ne se sont fait aucun scrupule de profaner ? » Horrifié, le conservateur proteste. Mais l'économiste, c'est-à-dire le libéral, l'interrompt : « La leçon est méritée. Conservateurs qui n'admettez aucun principe absolu, préexistant et éternel, en morale non plus qu'en économie politique, aucun principe également applicable à tous les temps et à tous les lieux, voilà où aboutissent vos doctrines. On les retourne contre vous. » (texte disponible ici)
Pour les juristes positivistes, la vérité de la Loi humaine réside dans son pouvoir autoritaire (Auctoritas non veritas legem facit écrivait Hobbes). En revanche, pour les libéraux, en particulier pour la tendance jusnaturaliste, l'autorité de la Loi naturelle réside dans son objectivité, sa conformité avec la nature humaine. De la sorte, une règle sera respectée parce qu'elle est respectable, c'est-à-dire comprise comme rationnelle, donc ne dépendant pas d'une décision politique, par essence capricieuse. On notera que la raison est requise exclusivement par la seconde conception. En effet, l'autoritarisme du droit étatique est tel que même les pires despotismes en sortent a priori blanchis. Tout ce qui est permis par la loi est, dans cette optique, réputé juste. En ce sens, avec la promulgation de la constitution soviétique et la législation antisémite nazie, toutes les expropriations et tous les assassinats devenaient théoriquement acceptables pour les positivistes légalistes - du type Hans Kelsen -, pourvu qu'ils se fissent au nom de l'intérêt-général-de-la-majorité (en l'occurrence, « la nation prolétarienne » ou « l'aryanité »). Il s'agit d'ailleurs d'une des conséquences extrêmes de utilitarisme qui préfère satisfaire les désirs du plus grand nombre aux dépens d'une faible minorité.
En effet, cette doctrine dont certains esprits mal informés ou malintentionnés attribuent parfois la paternité aux libéraux les plus radicaux (sauf si l'on tient Bentham et James Mill pour tels...) cautionne par avance toutes les horreurs redistributives. Supposons que, dans un pays X, 65 % des habitants soient atteints d'une déficience rénale; pour survivre, ils ont besoin qu'on leur remplace un rein malade par un autre en bon état. Saisissant l'occasion de plaire au plus grand nombre, le ministre de la Santé ordonne aux 35 % restants de faire œuvre de solidarité en offrant un rein à leurs concitoyens malchanceux. Les individus rétifs devront payer une amende qui sera reversée à l'Agence de Régulation de la Santé solidaire, tandis que ceux qui se plieront à la volonté gouvernementale recevront une indemnisation. Il y a, hélas, fort à parier que certains politiciens s'autoproclamant libéraux actuels se satisferont de la prime et appuieront le vol commis par les hommes de l'État.
Or la seule position libérale qui tienne est de dénoncer cette expropriation. En effet, au contraire d'une vente libre d'organe(s), le pouvoir réglementaire a obligé certains à se sacrifier pour d'autres, en menaçant ceux qui refuseraient de céder à ses injonctions. De plus, le prix de l'indemnisation n'obéit pas aux lois de l'offre et la demande, il est d'ordre purement bureaucratique. L'Etat conçoit toujours les prix qu'il fixe comme des faits objectifs, ce qui n'a aucun sens, mais cela prouve que la théorie du juste prix héritée de Saint Thomas d'Aquin, lorsqu'elle se mêle à la statolâtrie la plus faussement candide, peut faire des ravages. Sans oublier, surtout, que cette indemnisation elle-même ne correspond pas à une négociation libre, mais bien à un sacrifice de la liberté. Dans un marché libre, quand vous ne voulez pas vendre votre bien, vous le gardez. Aucun co-échangiste n’a le droit de vous poser un revolver sur le tempe en exigeant que vous le lui cédiez, fût-ce en échange d'une forte somme d'argent. Les hommes de l'État, eux, s'autorisent à agir de la sorte. Et impunément !
Lorsque un ministre décide de fermer ses frontières à un produit étranger au nom de la santé publique, ou qu'il lève de nouvelles taxes aux fins présumées d'alléger la dette extérieure ou de diminuer le chômage (les Belges se rappelleront l'impôt complémentaire de crise et les Français, la contribution sociale généralisée, comme si appauvrir les gens allait conduire à enrichir tout le monde !), qu'un État s'attribue un monopole quelconque (émission de la monnaie, sécurité, recherche scientifique, tabac, ou encore production cinématographique), tout cela n'est légitimé par aucun critère de justice, mais s'appuie seulement sur la violence. Il n'est pas surprenant que certains, encore plus gourmands, veuillent davantage consommer de Pouvoir. Hédonisme narcissique, matérialisme conflictuel et autoritarisme forment les axes qui déterminent l'État moderne - issu notamment de Hobbes. Pour ses défenseurs, le présent (du moins le leur) seul importe; l'avenir (enfin, celui de leurs sujets - auxquels il a été retiré, cf. les retraites collectivisées) est sacrifié.
Le mythe de l'État repose exclusivement sur du sable, que l'écoulement des siècles a transformé en une oasis imaginaire, un mirage persistant réservé aux crédules, éblouis par la lueur monotone autant qu'aveuglante des promesses politiques.
Personnellement, je ne suis venu à la certitude de l'imposture inhérente à la puissance publique - terme impropre, car il ne s'agit que d'une puissance privée illicite, cf. l'analyse rothbardienne de l'État qu'après un long cheminement intellectuel. De l'anarchisme (mais refusant tout militantisme par essence... anti-individuel), je suis passé au libéralisme pragmatique et conséquencialiste pour finalement aboutir à la philosophie libertarienne qui réconcilie anarchisme et libéralisme. Pour un anti-hégélien patenté, j'ai suivi une voie intellectuelle assez dialectique ! Je ne puis que saluer la lucidité précoce et la ténacité de personnalités comme Franz Oppenheimer, Frank Chodorov, Murray Rothbard, David Friedman, qui ont compris très tôt, sans avoir jamais été séduit par le collectivisme, que les défenseurs de la liberté n'avaient rien à attendre de bon du pouvoir politique. D'ailleurs, en interrogeant autour de soi, on se rend vite compte que c'est bien l'image de l'oppresseur qui représente le mieux les hommes de l'État. Pourtant, en démocratie, énormément de citoyens désinformés déplorent les vilenies politiciennes et félonies administratives, mais ils n'osent concevoir qu'une société de liberté puisse se suffire à elle-même, sans le prétendu secours d'un appareil bureaucratique et politique. « Ce serait l'anarchie et le désordre ! Le bordel en un mot ! », clament-ils scandalisés.
Cette exclamation décrit exactement l'état présent des sociétés humaines ; car le désordre est une conséquence de la prééminence du monopole étatique. Mais attention à la méprise : l'anarchisme libertarien ne prône aucunement le désordre. An-archie signifie absence de pouvoir coercitif, pas absence de principes. L'anarcho-capitaliste ne plaide pas en faveur de l'anomie, qui est au contraire à la fois la cause et l'effet des actions étatiques. C'est parce que l'idéologie politiste et collectiviste est arrivée à intimider la majorité des individus que l'amalgame Droit et État aveugle chacun de sa lueur de fausse évidence. Si l'Etat crée un pseudo-ordre, réellement destructeur, l'anarcho-capitalisme, en revanche, détruit les faux-semblants étatistes pour laisser s’épanouir la liberté.
Bien évidemment, il existe des libertaires avides de violence; mais, précisément, les libertaires ne sont pas des libertariens. Il s'agit d'anarchistes collectivistes, ennemis déclarés de la propriété privée qu'ils assimilent à la jungle et l'oppression du plus fort. La preuve de leur haine inextinguible du Droit est facile à apporter : leurs manifestations s'accompagnent systématiquement de violences (obstruction des rues, bris de vitres, vols, destructions de biens, agressions des passants récalcitrants), donc d'attentats contre la propriété. Et ce, malgré la fascination que certains, tel Bakhounine, auraient - paraît-il - éprouvée pour les grands industriels américains (signalé par Henri ARVON in Les Libertariens américains. De l'anarchisme individualiste à l'anarcho-capitalisme, Paris, 1983, PUF, coll. « Libre Échange »). Leur mode de pensée et d'action s'affirme donc comme une opposition résolue à la justice. Eux - et pas les libertariens - prônent un chaos insupportable pour tout homme sensé, car ils s'imaginent que chacun est autorisé à faire ce qu'il veut avec tout ce qu'il désire. Conception hautement antilibérale, car le libéralisme professe que chacun peut agir comme il l'entend avec ce qu'il a acquis sans violence. La conception anarcho-collectiviste de la liberté demeure profondément erronée parce que ses tenants refusent explicitement de distinguer le mien et le tien, ils n'admettent que le nôtre. Tout le contraire d'un anarchiste libéral, pour lequel il est hors de question de légitimer le vol, ce que d'aucuns avaient appelé « la reprise individuelle » (sous-entendant qu'en dépouillant un bourgeois, ils ne faisaient que voler un spoliateur). Si reprise il doit y avoir, elle passe par la réappropriation de ce que l'État a confisqué.
La doctrine sociale des anarcho-collectivistes ne se fonde sur rien d'autre que la volonté capricieuse, indifférente à quelque principe général de propriété de soi : « Tout est à tout le monde; vive la confusion et l'indistinction généralisée ! » Conséquence implacable : « Que le plus violent et/ ou le plus sournois l'emporte ! » Avec ce slogan, repris par les cohortes anticapitalistes, l'esclavage se trouve inévitablement encouragé. En pratique, c'est bien à la guerre de tous contre tous qu'ils aspirent. À l'inverse de ce qu'a écrit Hobbes, il ne s'agit pas de l'état de nature, mais d'une destruction de la nature humaine. La seule nuance qui distingue l'anarchisme libertaire des doctrines étatistes est que la violence s'y produit sans monopole avoué. Il y a néanmoins fort à parier que, pour faciliter l'application de leurs idées anti-propriétaristes, un État renaîtrait assez vite - qu'importe s'il s'intitule autrement (communauté, mutualité, coopérative, agence du peuple) - s’il détient le monopole de la violence, il s’agira bien d’un État. Pour résumer, leur refus de l'antique distinction du mien et du tien les voue à la fonction de tyrans.
Enfin, pour distinguer les vrais défenseurs de la liberté que sont les libertariens des imposteurs collectivistes, voici une phrase de Friedrich Engels que je soumets à votre examen: « L'État n'a pas existé de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui s'en sont fort bien passé, qui n'ont jamais eu la notion de l'État ou pouvoir d'État. La société qui réorganisera la production sur la base de l'association libre et égale (sic) des producteurs reléguera tout l'appareil d'État à la place qui est la sienne - au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze. » Rien ne vous trouble ? Ce programme supposé libérateur est d'emblée anéanti par un élément incompatible avec son objectif apparent de disparition de l’État: l'égalité des conditions. Des associations libres ne peuvent offrir des services égaux (sinon pourquoi existeraient-elles ?) ni partir du même point de départ, puisque leurs capitaux varieront en importance. On retrouve la faute logique de la « concurrence pure et parfaite » qui parcourt l'économie classique d’Adam Smith à Léon Walras, et que tant d'eurocrates continuent d'idéaliser. Qui, sinon une puissance tutélaire, aurait le pouvoir de mesurer et instituer l'égalité desdites associations ? N'est-ce pas tuer dans l'œuf la possibilité même d'une concurrence libre que d'imaginer des entreprises de taille équivalente dirigée par des espèces d'automates fabriquant des produits identiques les uns aux autres ? L’anarchisme collectiviste n’est qu’un prélude à l’étatisme prédateur.
posted by melodius 19.3.04
5.2.04
logo pour l'agllb
L'excellent Catallaxia a conçu le logo suivant pour l'AGLLB :
Merci !
J'en profite pour inviter l'unique internaute libéral qui ignore leur existence à visiter son site et les forums qu'il maintient.
posted by melodius 5.2.04
20.1.04
le marché n’est pas démocratie
(suite de « l’angélisme démocratique »)
Une idée communément admise dans les cénacles libéraux énonce que l’institution la plus démocratique est le marché. Ce propos fut d’ailleurs brillamment exprimé ces dernières années par Alain Peyrefitte dans sa célèbre thèse La Société de confiance. Toutefois, pour défendre le marché libre, il me semble que le recours à cet argument peut prêter à confusion. Il suppose en effet que la démocratie est en soi positive - concession fâcheuse accordée aux étatistes. Par conséquent, il risque de saper une compréhension claire du capitalisme en le politisant.
L’un des grandes lubies contemporaines réside dans la défense forcenée du « patrimoine collectif », alias « propriété démocratique ». L’astuce consiste, ici, à feindre de ne pas rejeter la propriété, pour en fait mieux la violer. Cela va de la démocratisation de l’eau à celle des transports en passant par la culture des navets (cinématographiques inclus, cf. Wallimage). En effet, il apparaît d'emblée illusoire de supposer que cent, dix mille, un million, ou des milliards d'hommes puissent posséder des droits indistincts sur un même bien. Quelques uns seulement sauront en tirer un avantage, en raison de leur talent propre. D'où l'importance de la divisibilité de la propriété. C'est une des énormes différences avec l'action politique. Quel que soit le candidat pour lequel vous avez voté, votre voix est inéchangeable. Supposons que le gouvernement bénéficie de vos faveurs et que vous approuviez ses choix. Vous n'en resterez pas moins pieds et poings liés, au même titre qu'un électeur de l'opposition, car la « Majorité » est décrite par le personnel politique comme un tout insécable, tel le bloc auquel Clemenceau comparait la Révolution française. Si le gouvernement trahit les promesses qu'il vous a faites (mettons la suppression de l’impôt sur les successions), vous aurez beau protester et descendre dans la rue, la majorité parlementaire confondue avec celle des électeurs lui ayant accordé leur confiance assourdira vos cris.
Passons au marché libre: une majorité de consommateurs ou d'actionnaires peuvent évidemment commettre des erreurs d'appréciation. Mais 1°) ça les regarde et 2°) vous n'êtes pas lié par leurs choix, et donc leurs éventuels impairs. La flexibilité des titres de propriété que vous possédez vous permet de vous retirer aisément de ce jeu que vous désapprouvez. Il vous est en effet loisible de vendre vos actions, éventuellement pour en acheter d'autres plus intéressantes, ou de ne pas acheter tel produit, et donc aussi de vous tourner vers les concurrents (voire d'en devenir un vous-même, si vous vous en estimez capable).
En bref: tandis que, dans la situation politique, nous nous trouvons face à un marché clos, rigide et peu évolutif, c’est tout le contraire dans le marché libre. La propriété y est mobile (vous pouvez l’acheter et la transférer librement), sans oublier que votre titre de propriété constitue une réserve d'informations beaucoup plus rapides et sûres que celles que vous communiquent une administration. On objectera peut-être que, dans la situation politique, l'électeur n'est - en définitive - pas complètement captif puisqu'il peut aussi retirer sa confiance à ceux qui étaient censés défendre ses options (sans mauvais jeu de mots). Il s'agit cependant d'un faux parallélisme. D'abord, un bulletin de vote n'appartient à personne et disparaît une fois l'élection finie. Vous êtes le seul, en principe, à savoir pour qui vous avez voté et, au contraire du membre d'un conseil d'administration, votre représentant ignore généralement le nom de ceux à qui il doit son siège. Puis, vous aurez beau vous retirer du jeu majoritaire, cela ne portera pas d'effet immédiat, car les périodes électorales ne dépendent pas de votre bon vouloir, au contraire des échanges boursiers qui remettent constamment en question les choix formés hier. Si la politique fixe arbitrairement des échéances pour savoir qui volera qui, le Droit de propriété vous autorise non seulement à décider si vous réitérerez ou non vos investissements actuels - et il ne vous autorise pas à confisquer les parts de quelqu’un d’autre. Les transformations récurrentes du marché ne s’ordonnent que dans la mesure où existe la propriété. Celle-ci faisant défaut aux affaires politiques, il est logique que la démocratie instaure les conditions du chaos: voracité des hommes de l’État, politisation croissante, contrôle renforcé des choix individuels.
Ne reculons pas devant une constatation qui déplaira à certains: oui, la propriété privée discrimine (tout le monde ne peut pas tout détenir), mais c'est parce qu'elle est acte de liberté (nul ne peut interdire à quiconque de devenir propriétaire d'un bien libre), et non de violence. Toute action humaine consiste à opérer un choix, donc à exclure certaines possibilités au profit d'une seule option. Il faut une singulière mauvaise compréhension des concepts pour identifier cette exclusion à un acte offensif. C'est au contraire celui qui vous force à offrir (à lui ou un autre, du reste) quelque chose, qui révèle un comportement agressif. De plus, être propriétaire n'autorise personne à en opprimer d'autres, à les voler ou les massacrer. Ce n'est pas parce que j'ai acheté ma maison que je peux tirer sur mes voisins ou mes invités. Un fabricant de couteaux qui égorgerait ses ouvriers parce qu'ils ne l'ont pas salué, tout propriétaire qu'il soit de sa fabrique, commet évidemment un acte criminel. Agir de la sorte démontrerait le peu de cas fait des axiomes fondant le Droit de propriété, dont le premier énonce que chaque homme détient l'intégralité de son propre corps.
Pour revenir au problème de l’exclusion, la seule discrimination condamnable est celle qui frappe quelqu'un par des moyens politiques. Si une loi oblige un propriétaire à recevoir contre son gré une tierce personne, c'est aussi illicite que si elle le contraignait à le bannir. Or, que ce soit en matière de recrutement professionnel, de location d’appartement ou d'immigration, la loi étatique s'introduit dans les préférences individuelles pour décréter des normes collectives. Intégration forcée ou exclusion forcée sont les deux mamelles du Pouvoir intrusif.
Si, en principe, l'actionnariat continue d'exister dans le régime de propriété mixte, il se différencie totalement de l'actionnariat capitaliste. Dans la mesure où les citoyens actionnaires détiennent par le biais démocratique, ou plus généralement étatique, des titres de propriété, d'aucuns - je l’ai indiqué au début - estiment qu'il s'agit d'une juste correction apportée à l'iniquité présumée de la propriété, mais non d'une destruction de celle-ci. C'est faux. En effet, ainsi que l’a remarqué Henri Lepage, la propriété publique correspond à un état archaïque de la propriété. Deux caractéristiques inhérentes à la propriété privée lui font cruellement défaut: la divisibilité et la cessibilité. Quand « le peuple » est promu actionnaire d'une entreprise, aucun des individus qui le constituent ne peut se retirer du jeu - vu que cela reviendrait à risquer la prison pour non-paiement d’impôts. Il manque à cette pseudo-propriété la possibilité de sanctionner les failles des administrateurs. Certes, la seule issue qui lui reste est de quitter « le conseil d'administration » : son pays. Mais cela suppose des coûts de transaction élevés, ce qui équivaut à une rançon servant à acheter sa liberté. Voilà où conduit l'appropriation politique de l'entreprise: à transformer chacun en otage d'une économie mixte, donc à détruire la liberté d'initiative au nom de la démocratie ou du Peuple. Parler de propriété démocratique, pour signifier « propriété publique », n’est par conséquent rien d’autre qu’une pure escroquerie intellectuelle qui cautionne la spoliation politique.
Omer Vidolis
posted by melodius 20.1.04
aristophane dans les limbes
Le site de l'ami Aristophane est (momentanément ?) indisponible.
Ses nombreux admirateurs (et trop rares admiratrices) pourront le retrouver sur ce blog temporaire, en attendant son retour à l'adresse habituelle.
posted by melodius 20.1.04
15.1.04
le galilée de l'écologie
"The Skeptical Environmentalist" de Bjorn Lomborg sort en français aujourd'hui.
L'Institut Molinari publie une note de présentation des recherches de Lomborg. A lire d'urgence !
posted by melodius 15.1.04
14.1.04
fichu fichu
Enfin une initiative heureuse et citoyenne ! Mes fidèles lecteurs comprendront que je m'y joins bien volontiers, et liront par ailleurs avec intérêt ce texte du même auteur, auquel j'adhère totalement.
posted by melodius 14.1.04
12.1.04
a-t-on les ennemis qu'on mérite ?
En lisant ceci, j'ose espérer que non !
Remarquez qu'on ne peut poster de commentaire à ce post. Courageux, mais pas téméraire...
PS : Merci à Turion d'avoir attiré mon attention sur ce chef-d'oeuvre comique !
posted by melodius 12.1.04
6.1.04
l’angélisme démocratique
« La Russie n’est donc toujours pas devenue une démocratie ? » se seront sans doute demandé les quelques rares lecteurs du Soir en découvrant la chronique de Pol Mathil du vendredi 2 janvier. Le journaliste y relate un fait qui révolte le digne membre de l’AGLLB que je me flatte d’être, à savoir que la production de vodka est surveillée de près par le FSB (service fédéral de sécurité) - autrement dit, l’ancien KGB. Et Mathil de conclure avec une juste amertume son papier: « Bref, tout est clair: vodka, caviar et - depuis longtemps déjà - consommateurs sont placés en Russie sous la protection de la police. Pas chez nous heureusement » (souligné par moi) Je ne sais s’il faut déceler de l’ironie dans la remarque finale; en tout, cas elle serait justifiée. En effet, n’est-ce pas ici que les tenanciers de bistrot doivent désormais montrer patte blanche pour servir de la bière ? N’est-ce pas ici, dans notre démocratique Royaume de Belgique, que le prix du pain blanc est encore fixé par le gouvernement ? Au demeurant, comme le notait tout récemment l’ami Aristophane, il n’est même pas dit que la réforme visant à extraire la tartine des griffes et de l’appétit étatiques entre finalement en vigueur.
La question n’est donc pas de savoir si la Russie est devenue démocratique, mais plutôt de comprendre que la démocratie ne libère pas les individus de l’État. Je serais même tenté de dire que les méfaits étatistes n’en sont que plus facilement encouragés, puisque les élections sont présentées unanimement comme un droit inaliénable, un de ces « acquis sociaux » dont on nous rebat constamment les oreilles.
Il n’est pas rare de lire ou d’entendre des réflexions favorables à la corvée « citoyenne » telles que : tout bien considéré, qu’est-ce qu’une séance de cinéma perdue contre la satisfaction du devoir civique accompli ? L’obligation d’aller voter (en vigueur en Grèce, en Belgique et au Luxembourg) prive les gens d’une part de leur liberté, mais pour cinq minutes, disons une heure tout au plus. Quand bien même la durée serait aussi brève qu’indiquée ici (ce qui est douteux), l’argument du devoir civique ne tient pas. Contraindre des individus innocents à être provisoirement privés de leur liberté d’action, au nom de la primauté de la « liberté » politique, ne repose sur aucun principe moral. D’autant qu’il s’agit de les forcer à réduire autrui en esclavage ! Qui peut décider à ma place que les cinq minutes, ou a fortiori le quart d’heure, que durera ma présence dans le bureau de vote ne me font pas perdre mon temps ? Si minime qu’il puisse paraître, ce moment m’a été volé, alors que j’aurais pu le consacrer à autre chose: terminer un travail, m’absorber dans un loisir - lecture, promenade, concours de contrepèteries, qu’importe. Ce rapt horaire oblige chacun à organiser sa journée en fonction de ce « petit désagrément » qui n’existerait pas dans une société libre. Quelle que soit la zone géographique que recouvre le concept de citoyenneté (nationale, européenne, mondiale), il grève l’individu de devoirs officiels, en perpétuelle expansion. Et quand des droits sont reconnus et octroyés par la puissance étatique, ils sont faux puisqu’ils ne naissent qu’en privant d’autres personnes de leurs droits véritables. C'est la manière la plus durable d’éteindre la flamme de la responsabilité individuelle que d’imposer des « devoirs civiques » comme soi-disant contrepartie des « droits » (sociaux évidemment, cf. la Déclaration des Droits de l’Homme incluse dans la Charte des Nations unies). Le service militaire, cet esclavage prétendument instructif, a certes été aboli dans bien des pays démocratiques, mais le « consentement à l’impôt », locution orwellienne par excellence (imagine-t-on un « consentement à l’agression », hormis dans les night-clubs SM?), perdure plus que jamais.
Des lecteurs pourraient m’objecter à bon droit qu’en général, excepté les trois pays mentionnés ci-dessus, les citoyens d’une démocratie ne sont pas tenus de se rendre aux urnes. Très juste. Mais cela ne fait que corroborer mes dires. En effet, un abstentionniste devra supporter, à l’instar d’un électeur du camp défait, les conséquences du choix majoritaire. On me rétorquera que, pour éviter ce désagrément, il n'avait qu’à aller voter, « agissant ainsi de façon responsable ». Ici, l’obligation perd son caractère légal pour se parer des atours métaphysiques de la Nécessité : nul ne peut échapper à son devoir de citoyen, sans quoi il serait isolé de toute décision importante et sanctionné par le choix des autres. Mais vu que, même s’il se prononce, sa voix sera noyée parmi celle des autres serfs, et qu’ensuite elle sera définitivement assourdie par le filtre parlementaire, lui-même dilué dans les commissions les plus diverses, on ne voit pas ce qui pourrait inciter l’indécis, le blasé et le cocu à voter. Car, malheureusement, aucun pays - à ma connaissance - n’a institué le suffrage négatif, qui consisterait à ôter sa voix aux candidats que l’on désapprouve. Ensuite, il est savoureux de parler de responsabilité alors que ce sont de faux choix qui sont présentés et appuyés par un faux droit, et que les hommes de l’État demandent aux individus d’abandonner leur liberté dans pratiquement tous les domaines pour leur confier sans regimber les clefs du cadenas juridico-politique. Être sage et responsable, ce serait donc accepter docilement le non-choix de l’esclavage et de la violence ! En fait, la suprême dénaturation de l'individu réside dans la mystification inhérente à l’état de citoyen.
En d’autres termes, le tour de force des démocratolâtres consiste à nous faire croire qu’il n'y a pas d’autre issue pour se délivrer d'une tyrannie que d’en imposer une autre à ses semblables et de se faire despote soi-même -comme le notait Lysander Spooner.
De plus, ce collectivisme renforcé par l’illégitime légalité électorale s'appuie sur de curieux présupposés, qui défient toute logique. Les défenseurs de la démocratie nous expliquent généralement que la loi du nombre est préférable aux choix individuels. Mais ils ne nous éclairent jamais sur la raison de la supériorité politique qu’ils prêtent à la majorité. Pour eux, héritiers conscients ou non de l’utilitarisme, c’est le plus grand bonheur du plus grand nombre qui doit primer. Nulle part, ils ne révèlent que la politique favorise plus que probablement le bien-être de certains, mais que les moyens qu'elle emploie détruit nécessairement celui d’autres personnes. D’autres invoquent la sagacité supérieure de la majorité par rapport à l’individu isolé, incapable de percevoir tous les problèmes. C’est présumer que chacun de nous devrait essayer de résoudre les difficultés et les catastrophes les plus éloignées de lui... tout en restant incapable de s’occuper de soi-même ! Or, comme l'avait signalé Aristote, seul ce qui nous appartient en propre fait l’objet de soins efficaces. La supposée hauteur de vue de l’État démocratique est celle du médecin myope qui prétend soigner des gens valides en les rendant manchots.
De Hugo Chavez (le putschiste reconverti en Allende en sursis) à Daniel Ducarme (autre putschiste, et probable futur prédécesseur de Charles Picqué, lui aussi fin démagogue télégénique) en passant par Tony Blair (Tony le socialiste belliqueux qui a succédé à Tony le présumé « ultralibéral thatchérien »), tout tribun sait qu’il séduira et aura plus de chances de réussir à la seule condition de flatter bassement la foule, et non en sollicitant la raison des individus. Le politicien fait appel à notre part personnelle de sottise et d’ignorance, qu'il transmute en présumée sagesse populaire par le truchement de son verbe sentencieux. Et c’est là que l’illogisme triomphe sans que cela scandalise les « intellectuels » prétendument si vigilants. Car, ainsi que le faisait remarquer le sarcastique H. L. Mencken, si X est la population d'un pays et Y le degré d'imbécillité de l’autochtone moyen, la démocratie postule alors que X fois Y est inférieur à Y.
D’après Karl Popper, comme pour son ami Hayek, la démocratie posséderait deux visages contradictoires. Du premier, il convient de se défier sans tergiverser, c'est la démocratie absolutiste qui lèse les individus par des mesures arbitraires. En revanche, le second lui paraît plus raisonnable: la démocratie équivaudrait à un instrument de paix sociale permettant de changer de gouvernants sans effusion de sang. Pourtant, n’en déplaise au digne philosophe, la paix qu'apporte censément la démocratie n'est que très relative, voire hautement idéalisée. Pensons notamment au bellicisme des politiciens français d’avant 1914 ainsi qu’à leur volonté d’humilier les vaincus de 1918. De plus, il est aisé de réfuter l’idée poppérienne en rappelant que les relations commerciales entre des individus de régions et pays différents se passent le plus pacifiquement du monde, à moins qu'un gouvernement n’intervienne et ne perturbe ainsi le libre jeu du marché. Protectionnisme et démocratie se combinent sans difficulté, depuis la loi Méline jusqu'à la PAC aujourd’hui. La rareté des révoltes libérales contre un gouvernement dit légitime ne démontre rien en sa faveur, mais prouve plutôt qu’il possède des ressources importantes comme l'intimidation policière lato sensu (dont l’inquisition fiscale n’est pas la moindre manifestation), les vexations diverses, la propagande massive transformant les éventuels émeutiers en sauvageons d’extrême-droite, mais aussi l’achat de voix, l’ambiguïté langagière, les promesses spectaculaires.
Donc, selon l'école poppérienne, bien que la démocratie s'incarne dans la loi de la majorité, elle permet en théorie de modérer les décisions des hommes de l’État - du moins tant qu’ils craignent de perdre leur pouvoir par les urnes. Pour infliger un cinglant démenti au philosophe, il suffit de se tourner vers les démocraties européennes, où les panzers de l’harmonisation fiscale progressent chaque jour un peu plus.
À mon avis, en insistant sur les qualités civilisatrices des institutions démocratiques, l’épistémologue a pris ses désirs pour des réalités. Il a essayé de trouver un argument de fortune, susceptible d’idéaliser et sauver la démocratie d’une critique plus approfondie. Autrement dit, l’auteur de La Société ouverte et ses ennemis a tenté de protéger l’État en se référant à ce qu’il aurait voulu qu’il fût, et non à ce qu’il était réellement et nécessairement. Popper a donc omis de considérer que, si elle apparaît moins sanguinaire que la barbarie totalitaire, la démocratie n’en engendre pas moins les conditions d'une guerre civile, plus ou moins feutrée, certes, mais liberticide quand même.
En revanche, les auteurs libertariens font observer que la démocratie est intrinsèquement (et non circonstanciellement) nuisible, car elle décuple les pouvoirs bureaucratiques par le recours à des alibis dirimant par avance toute objection morale - notamment en employant l’argument des élections régulières. Pour les anarcho-capitalistes, il ne s’agit aucunement d'une circonstance atténuante; l’esclavagisme n'est pas plus tolérable s’il est entériné par une décision prise à la majorité des voix. D’où le refus de cautionner la formule contradictoire de démocratie libérale. Comme l’ont écrit les Tannehill, « défendre le gouvernement, c’est défendre l’esclavage. Défendre le gouvernement limité, c’est se mettre dans la situation ridicule de défendre l’esclavage limité. » (« The Market for Liberty ».
De son côté, Hans-Hermann Hoppe ne craint pas de provoquer le lecteur lorsqu’il fait observer: « Contrairement à un mythe répandu, il faut souligner que le défaut de démocratie n’était absolument pour rien dans la faillite du socialisme soviétique. Ce n'était pas le mode de sélection des politiciens qui constituait le problème du socialisme réel. C'était la politique et la politisation des décisions en tant que telles. » Si les mencheviks et les modérés avaient conservé le pouvoir, ils auraient probablement évité à leurs compatriotes (et à leurs voisins) les affres cauchemardesques du Goulag et de la servitude totale, néanmoins ils auraient usé de violence légale contre la propriété individuelle, ainsi que le font toutes les démocraties. Les révolutionnaires communistes ont d’emblée employé la terreur pour imposer leur volonté; les démocrates occupent le pouvoir légalement, mais c’est toujours pour faire plier les individus. Plus généralement, le putsch bolchevique représente la vérité occultée du phénomène politique: la politisation totale de la société.
Des démocraties telles que l’Italie, l’Autriche ou la Belgique - à travers la particratie - ont poussé le vice de la politisation très loin. Ainsi, un pauvre qui cherche à se loger à Bruxelles doit, si j’ose m’exprimer de la sorte, avoir ses entrées dans le sérail politique - sous la forme d’une (ou plusieurs) carte(s) de parti. S’il dispose de cet atout, il pourra louer une piaule dans un de ces taudis insalubres et peu sûrs « offerts » par les hommes de l’État. Sinon, il sera relégué au bas de la liste d’attente... Cela ne vous rappelle rien ? Moi si: la très réaliste scène de Tintin au pays des Soviets où des gosses affamés doivent faire la file pour recevoir des mains d’un infâme apparatchik une bouchée de pain. Les hommes de l’État créent donc la pénurie - du logement et/ou de la farine -, puis s’arrogent le droit d’échanger ce qu’ils se sont indûment approprié contre un serment d’allégeance à leur parti. Moyennant l’apposition d’un cachet officiel, le marché politique détruit le marché libre - j’y reviendrai, je l’espère, dans un article ultérieur.
Face à la destruction démocratique de la liberté, l’idéal libertarien doit rester celui d’ « une société qui abandonne la politique pour la politesse, la citoyenneté et le civisme pour la civilité ». (Christian Michel)
Omer Vidolis
posted by melodius 6.1.04
2.1.04
avant-garde ludique des libertariens bruxellois
Un beau cadeau de nouvel an de l'ami Eskoh, compagnon de route de l'AGLLB :
Merci Eskoh !
posted by melodius 2.1.04
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